vendredi 9 mai 2014

La peste sévit à Poitiers - Lulu Sorcière Archive dans Centre Presse - 9/05/2014.

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1631, c’était un temps où les ruelles pictaves regorgeaient d’immondices. C’était un temps où les latrines manquaient, où les seaux d’aisance se vidaient le matin aux fenêtres. C’était un temps où les ordures ménagères n’étaient l’affaire de personne.
1631, c’était le printemps des odeurs, dans Poitiers la Grande,  se côtoyaient hommes et bêtes, épluchures et déjections. Les  glycines et les lilas peinait à masquer le pullulement d’une vie microbienne grouillante sous les déchets, progressant dans un univers souterrain dont les rats étaient maitres, s’insinuant de maison en maison, polluant les couches de paille, déversant leur flot de puces, laissant une armée bactériologique invisible et invincible faire son œuvre, sournoise, déterminée,  menant inexorablement à la contamination des hommes.
1631, les ordures ménagères deviennent le problème de tous,  la peste est là. Les décharges s’organisent, les charretiers,  ancêtres de nos éboueurs, collectent, éloignent, pauvres Sisyphe d’une terre déjà  irresponsable dans une atmosphère irrespirable. Depuis le XVè siècle la peste était endémique et Poitiers avait maintes fois lutté. De l’autre côté du Clain, la cité avait son hôpital des champs dédié à la contagion, ses « sanitat » permettant d’isoler les malades. Estienne Thevenet, tentait les remèdes, venin de vipère, bave de crapaud, incision des bubons. A Buxerolles, au Logis de la Barre, les rescapés espéraient  guérir.
1631, la peste fleurit au printemps sur le terreau de la saleté, de la misère et de la crise économique. Qu’on se le dise, le prix de la contagion suivit dans tout le royaume celui du vin et du froment, il poussa le nanti à fuir avec ses biens vers une autarcie villageoise salutaire, vite et loin, le plus vite possible, loin de la ville putride où l’on enfermait les contaminés. L’exilé emportait dans sa fuite essoufflée, ce bacille que nul ne connaissait encore. 
1631, les registres paroissiaux racontent l’exil d’une épidémie… Parmi les 32 mentions de peste retrouvées, 20 occupent les années 1630 et 1631. La peste est au village ! A Cissé, le curé la nomme  «  l’année de la grande mortalité ».  A Craon on enterre les morts dans les jardins,  à Posay-le Joly, à Arcay, à Amberre, à Nouaillé-Maupertuis, on mentionne la contagion. A Thurageau, elle impose  son cimetière, à Montamisé, l’un après l’autre, les Joubert s’enterrent dans leur jardin. Le 7 juin,  ce sont les « corbeaux » de l’hôpital de Poitiers qui recouvrent le dernier.
1631, dans ce village du Poitou, la contagion est à son comble au printemps, un an après le premier cas signalé dans le registre, elle a tué 117 personnes, multipliant la mortalité par dix. A Poitiers, la ville décimée compte 10 000 morts, la moitié de sa population.
2014, dans un monde où  les bactéries résistent, où  la gale revient, où la crise économique gronde, le printemps pictave des glycines et des lilas peine à couvrir les effluves d’alarme des sacs poubelle. Les ordures ménagères seront-elles enfin, l’affaire de tous ?


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