Le Challenge de cette année est celui des gourmands. Evelyne qui nous régale jour après jour et tous ces petits plats se dégustent sans faim de A à Z. La faim ? L'archive la raconte en quelques mots qui nous prennent aux tripes, dessinent des courbes, et en appellent à l'histoire.
En cette année 1694, le Roi Soleil, ébloui par la
construction de son palais versaillais, va-t-il enfin y voir un peu
clair ? Depuis deux ans déjà, il fait froid dans son royaume, si froid que
l’on parlera de « petite période glaciaire ». Les récoltes sont
médiocres, d’année en année réduites à néant, aggravant la précarité des
couches populaires. L’hiver 1693/1694, le thermomètre chute encore. Le setier
de blé atteint des records à 52 livres. En ce printemps 1694, trop froid et
trop humide, le Parlement, enfin, réagit. Il ordonne aux curés d’établir un
bilan des pauvres de chaque paroisse, impose l’aide aux miséreux par les plus
riches. Interdit aux malheureux d’errer sur les chemins ! Les curés multiplient les processions. En mars, Jean Bart, corsaire, déjouant
l’ennemi anglais, ramène 27 navires de blé des pays nordiques, puis encore 30,
puis 60 ! A Paris les femmes se révoltent et Fénelon écrit à sa Majesté : « La France
entière n’est plus qu’un grand hôpital désolé et sans provisions. »
Dans les maisons glaciales du Poitou et d’ailleurs, on fait
du pain de n’importe quoi : du pain de fougère, du pain de gland, du pain
d’orties, du pain d’herbes bouillies. Avec la malnutrition, les épidémies s’installent,
la typhoïde, la dysenterie, le scorbut
gagnent : fièvres putrides, malignes, pestilentes
achèvent d’affaiblir les corps. L’absence de nourriture pousse les
pauvres sur les chemins, dans les bois, sur les routes, d’un village à l’autre,
d’une région à l’autre.
La famine cruelle se lit les traits creusés et pâles des enfants dénutris mais aussi des
adultes. Les abandons se multiplient, des hordes de petits mendiants errent
sans ressource et sans secours dans les campagnes démunies comme dans les
villes.
Les villageois désemparés, fouillent les bois, rongent les racines et
meurent d’épuisement n’importe où, là où
la faim les a menés et où la faucheuse les guette. Méthodiquement, le curé de
Leugny enterre ses paroissiens : des nourrissons, des enfants, des jeunes,
des vieillards.
Méthodiquement le curé de Leugny note sur son registre la cause
de chacune de ces morts révoltantes, le désespoir est dans l’énumération
: mort de faim, mort de misère, mort sur le chemin, mort d’épuisement,
mort faute de nourriture, mort de défaillance en pleine rue….
En ce printemps 1694, la mortalité a doublé dans le royaume,
la population a baissé de 6,8%, la
natalité est en chute, on ne marie plus, et les grossesses sont rares. En ce
mois d’avril 1694, le curé de Leugny désespéré, ne sait pas encore que cette année,
enfin, les récoltes de son village seront meilleures et qu’il verra la famine
reculer.