mardi 2 janvier 2018

Le converti d'Enjambes. Les Chroniques de Thierry Péronnet - #AD86



 

Note de Lulu : Cette rubrique fait le pari du plaisir de la VO, et vous offre le loisir de déchiffrer vous-même ces archives anciennes. Elle donne aussi à chacun une petite idée du travail de recherche, de lecture, de paléographie que représente un article de 2600 caractères espaces compris dans votre quotidien régional.  Bonne lecture ! 












Le premier dimanche de mars 1665 un homme, brave parmi les braves, un nommé Izaac Bourreau, habitant dans le faubourg de Lusignan, tout heureux, tout fier de lui, adepte jusqu’à lors de la Religion Prétendue Réformée (RPR) s’est converti dans l’église de St-Martin d’Enjambes à l’heure de la messe, avec grand renfort de cloches, d’encens, l’autel recouvert du corporal brodé de fil d’or, devant les bons frères Capucins présents, devenant un bon catholique apostolique et romain pour l’éternité. Sa famille, femme enfants et gendre compris, ses voisins, tous adeptes de la RPR lui tombèrent alors dessus, ils le molestèrent, ils le traitèrent de « fol » de « vieux fou », l’appelèrent « Jean de la Messe ». Ils tirèrent au chapeau et se distribuèrent ses meubles entre eux, sa femme son fils sa fille et son « prétendu » gendre le quittèrent. Il se retrouva tout seul, fort dépourvu comme la cigale l’hiver venu, plus de meubles, de cavale *, de petite gorette à 5 livres de valeur, plus de femme et d’enfants, plus de devoir conjugal, plus de lit pour dormir. Mais diantre, que s’était-il passé dans la tête du pauvre homme, lui qui était si benaise au milieu de sa femme, de ses enfants, de ses meubles, de ses braves voisins tous de la même religion que lui, bien au chaud au cœur de son quartier ? Pourquoi a-t-il eu cette saugrenue idée d’abjurer au risque de tout perdre? Un indice, une piste de réflexion peut-être, quatre mois auparavant sa femme avait discrètement remis 12 louis d’or et 20 livres à une bonne voisine, en lui demandant de lui garder pour le mariage de sa fille. Peut-on penser que ledit Izaac Bourreau n’était pas très chaud pour futur mariage de sa fille adorée ? Qu’il ne devait pas beaucoup apprécier un certain Renou cordonnier, son futur « prétendu » gendre ? Aurait-il mal supporté de perdre toute autorité sur sa famille et 12 louis d’or en prime? Pour tout cela et aussi poussé par le jeune et dynamique prêtre curé prieur de St-Martin d’Enjambes, le vénérable messire Anthoine Beauvillain ** âgé de 33 ans, il se serait peut-être dit qu’il retrouverait la maîtrise des évènements en devenant un bon catholique et qu’il pourrait ainsi s’opposer efficacement à la célébration dudit mariage, récupérer son honneur et ses louis d’or et avant tout reprendre une place enviable au sein du tissu économique et social de la bonne ville de Lusignan. Mais hélas trois ou quatre fois hélas, la suite lui aurait donné tort.

*Une cavale c’est un cheval, le scooter des temps jadis


**Il est appelé « grand beelard de curé » « grand asnier » par une justiciable dans une autre procédure la même année