vendredi 8 février 2013

Les enfants du Bon Dieu - Arçay (86) 1699/1724


Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages !
On idéalise parfois jusque dans l'Hémicycle les modèles familiaux.
Papa est en haut, maman est en bas, tout l'monde il est beau, tout l'monde il est gentil.
Un vocabulaire naïf de communicant côtoie une nostalgie sépia.
Est-il possible de penser, de méditer l'intérêt de l'enfant présent à la lumière du passé ?
A voir.
En voici en tous cas, un autre éclairage.
Il nous est donné généreusement, trois cents ans plus tôt, par Aubry le bon curé d'Arçay.
Au cimetière des Innocents, il en a accompagné des enfants ! La mort est son métier.

L'Eglise, et, au delà, la société furent-elles, comme on semble le croire aujourd'hui,  si pointilleuses et intransigeantes en matière d'éducation, de famille ?
Ne pourrait-on se dire que leur tolérance alla même dans le sens d'une certaine émancipation féminine ?
Sur le sujet, les petites affaires criminelles, comme  les archives insolites, interpellent souvent. Nombre d'infanticides sont acquittés, et on semble parfois faire peu de cas de la mort des enfants.

Au XVIIIème siècle, la mise en nourrice des nouveau-nés gagne du terrain, tandis que l'allaitement par la mère biologique recule. La méthode s'étend rapidement de la noblesse aux couches sociales bourgeoises, aisées, et gagne même les milieux les plus populaires.
Il en est ainsi à Loudun comme à Paris, comme nous le montrent les actes relevés à Arçay.


Petit à petit, les petits partent des villes pour être nourris dans les campagnes.
Petit à petit, les petits partent des villes pour mourir dans les campagnes.
Loin de leurs parents.
Qu'y a-t-il dans la tête du curé d'Arçay lorsqu'il note méthodiquement les noms et l'origine sociale des parents des enfants morts en nourrice, les noms des nourrices ?
Tristesse, lassitude, méthode, réprobation ?
Loin de leurs papas et de leurs mamans, le cimetière des Innocents d'Arçay se remplit de petits cadavres de "bonnes familles" :
    - Le fils de Me Gaucher opérateur et Chimiste
   - L'enfant de Me Gautier et de Dame Marie de Marillet
   - La petite de 8 jours de Me Pierre DUBOIS marchand et Dame Jeanne Huet de la Bastière,
   - Nicolas, 5 mois fils de Me Pierre Fouqueteau Sieur de Vauban marchand et de Dame Louise Fouqueteau
   - Le fils de 8 jours de  Maitre Joseph RICORDEAU menuisier et Dame Marie Micheau
   - Françoise, 8 jours, fille de Me Nicolas MARTIN huissier et Dame Marie Lebault
   - Marie 2 jours, fille de Louis de Brissat Escuyer  et de Dame Anne Françoise de Bussy
   - Vincent 4 mois, fils de Mathieu Petiteau maitre menuisier et de Jeanne Roy.

Que du beau monde ! Du beau monde qui se côtoie forcément à Loudun, du beau monde qui se parle, du beau monde qui revient du cimetière d'Arçay, du beau monde qui sait forcément la mise en danger des enfants.

Alors pourquoi les laisser en nourrice quand on sait qu'il n'y survivront pas ?

A la question Allaitement et Instinct Maternel, je ressors mon p'tit Badinter.


Qu'y a-t-il dans la tête de ces jeunes mères ?
Une émancipation naissante.

L'épouse accompagne de plus en plus son mari dans ses activités culturelles. Elle fait salon, elle lit, elle parle, elle pense, elle apprend, elle sort.


Or Allaiter ou sortir, il faut choisir.


Allaiter c'est être remplacée. Si la jeune mariée lâche le bras de son époux, non seulement il lui poussera vite des cornes,  mais pire encore, elle perdra sa place dans la vie sociale !
Séparée de son enfant dès la naissance, elle reprend vite la parole et garde son homme dans son lit.


Qu'y a-t-il dans la tête de ces jeunes pères ?
Tout sauf un intérêt pour l'enfant !


A tel point, que ce sont eux aussi, qu'il faudra convaincre de soutenir, de respecter leur famille,  lorsque face à une catastrophe démographique, on prônera l'allaitement par la mère biologique dans les journaux et les manuels de puériculture.

Non vraiment  : La vie de famille du XVIIIème, du XIXème et du début du XXème siècle ne fut pas un long fleuve tranquille  !

Néanmoins de ces périodes sombres, il restera la liberté conquise.


La femme française sait qu'il faut confier son petit pour garder sa place. Création de crèches, surveillance des nourrices, elle organisera progressivement la garde à partir de la fin du XIXème. En la matière, au niveau européen, mondial,  il reste à faire.


Elle gagnera en 1967 le droit à la contraception,

en 1975 celui à l'avortement.


Elle se méfiera des politiques natalistes qui la ramènent à la maison,


 comme elle se méfie encore aujourd'hui des politiques naturalistes et culpabilisantes qui allongent  la durée de l'allaitement et la renvoient enfanter à la maison dans un lit de misère !


En matière de loi, comme en matière de lait, tout est dans la mesure !
Mise à jour 2022 : En matière de loi, tout peut basculer dans l'hier, il suffit d'un vote populiste de trop. 



Actes relevés sur Arçay.


Le mesme jour (13 septembre 1699) fut aussy inhumé au semitière des Innocents le fils de Me Gaucher dit Maroton opérateur et chimiste demeurant à Châtellerault le dit enfant en nourice chez François La Carte
 AD 86 Arçay 1693/1702 page 41.
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 La fille de Mre Pierre DuBOIS marchand brûleur d'eau de
vie et de Dame Jeanne HUET de la Bastière demerant à
Loudun paroisse de St Pierre du marché est décédée âgée de
cinq jours dans la maison de René GAUBERT où on l'avait
mise en nourrice et a esté inhumée dans le cimetière des
Innocents le lundy deuxième Janvier mil sept cent treize;
Arçay 1713/1732 Page 1

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Fils de Maistre Joseph Ricordeau menuisier et de
Dame Marie Micheau sa femme de la paroisse de St Pierre
du marché de Loudun est décédé en nourrice chez René
Gaubert où il estait depuis huit jours et a esté inhumé
dans le cimetière des Innocents le vendredy treizième octobre mil
sept cent treize il estait agé de quatre mois.
Aubry
Arçay 1713/1732 Page 5
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L'enfant de Mre Jean Gautier ... d'Arçay et de Dame Marie de Marillet sa femme âgé de dix jours est mort en nourrice et a esté inhumé dans l'église au dessous de l'épitaphe le vendredy vingt sept avril mil sept cent quatorze. Aubry.
 AD 86 Arçay BMS 1713/1732 page 9.
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 Nicolas fils de Me Pierre Fouqueteau Sieur de Vauban marchand et de Dame Louise Fouqueteau son épouse agé de cinq mois est décédé en nourrice à Chassigny et a esté inhumé dans le cimetière des innocents le vingt neuf juin 1716 les dits Sr et Dame Fouqueteau de la paroisse de St Pierre de Marsay de Loudun.
AD 86 Arçay BMS 1713/1732 page 17
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Françoise Louise fille de Me Nicolas Martin huissier
royal à Loudun et de Dame Marie Lebault son
épouse, agée de huit jours est décédée en nourrice à Chassigny
et a esté inhumée au cimetière des Innocents le vendredy
deuxième Juin mil sept cens vingt quatre.
Aubry

AD 86 Arçay 1712/1732 page 62
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Marie Jeanne fille de Messire Louis de Brissat
Escuyer Sgr du Vigneau paroisse de Mouterre et de
Dame Anne Françoise de Bussy son épouse est décédée
icy en nourrice agée de deux à trois jours et a esté inhumée
dans le cimetière des Innocents le dimanche deux Juillet
mil sept cent vingt quatre.
Aubry.

AD 86 Arçay BMS 1712/1732 page 63
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Vincent fils de Mathieu Petiteau maitre menuisier
à Loudun et de Jeanne Roy sa femme ,
agé de quatre mois est décédé en nourrice et a esté
inhumé dans le cimetière des Innocents le jeudy dix
huit octobre mil sept cent trente un
Aubry
AD 86 Arçay 1712/1732 page 102


6 commentaires:

  1. Bonjour,
    On peut se demander pourquoi faisaient ils des enfants si c'était pour les mettre en nourrice à peine nés....le manque de câlins,d'affection (même si ce n'était pas très tendance à ces époques là) ne faisait il pas décliner la santé de ces tous petits qui finissaient par en mourir !!!!
    Au passage j'en profite pour vous dire merci pour tous ces articles !

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    1. Merci pour ces encouragements !
      Les conditions d'hygiène, l'intervalle entre la naissance et la mise en nourrice, le délaissement, les épidémies et bien sur comme vous le mentionnez le manque d'affection, expliquent sans doute ces mortalités si nombreuses. Les nourrices manquent parfois de lait, elles doivent en effet nourrir leur petit et celui d'une autre. Il arrive d'ailleurs qu'on leur confie un enfant alors qu'elle viennent de perdre le leur en couches...
      L'allaitement pour autrui n'a rien d'éthique !

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  2. Effectivement, les notables de l'époque avaient l'opportunité de trouver des nourrices.
    Un siècle plus tard, si j'en crois le "Journal de la Vienne", les enfants trouvés et abandonnés étaient proposés par l'Etat :
    Jeudi 6 juin 1816
    M. le Préfet rappelle à MM. les maires de tâcher de placer chez les cultivateurs des enfants trouvés et abandonnés qui sont dans les hospices de Poitiers, et dont les services pourraient, à peu de frais, être utiles à ceux qui les emploieraient. MM. les maires voudront bien pour cet objet s'adresser à la Préfecture.
    Jeudi 29 août 1816
    Monsieur le préfet réitère à Messieurs les maires l'invitation qu'il leur a faite dans le journal du 6 juin dernier, numéro 23, de tâcher de placer chez les cultivateurs des enfants trouvés et abandonnés qui sont dans les hospices de Poitiers.
    Ceux qui se chargeraient de ses enfants y trouveraient un grand avantage, n'étant tenu qu'à leur nourriture et entretien jusqu'à l'âge de 18 ans accomplis.
    Je n'ai pas trouvé, dans mes recherches, de cas précis pour pouvoir me faire une idée sur ce que devenaient ces enfants "placés". Arrivaient-ils à se faire une place dans la société ? Etaient-ils exploités ou bien les traitait-on de façon convenable ? Certainement des comportements divers selon les personnes ou les communautés où ils atterrissaient.
    Jean-Paul Boudault

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    1. Bonsoir Jean-Paul et merci pour ce commentaire et ces précisions.
      Ici il s'agit des propres enfants de notables. La pratique de la mise en nourrice précoce va se poursuivre jusqu'au début du XXème siècle.
      Concernant les enfants exposés, l'article précédent nous indique qu'ils sont confiés au propriétaire de la porte sur laquelle ils sont accrochés. Ce qui explique pourquoi les enfants exposés d'Angliers le sont la plupart du temps à la porte d'une nourrice. Ils seront répertoriés à l'hospice le plus proche, puis rendus à la nourrice qui s'en chargera... plus ou moins bien.
      Après la révolution, ils passent tous par Poitiers, ils sont identifiés et marqués (collier d'abandon puis boucle d'oreille) puis confiés. La série 3X des Archives permet parfois de les suivre (Voir les articles sur les enfants exposés d'Angliers, ils couvrent la période pré et post révolutionnaire). On y trouve aussi des éléments sur les échanges d'enfants d'un département à l'autre, les placements, les communautés agricoles..
      Il me reste des documents à exploiter sur le sujet, j'y reviendrai.
      Amicalement.

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  3. Bonjour matinal,
    Tout d'abord merci pour cet article très intéressant et pour tes commentaires qui nous font voir les liens avec ce passé pas si lointain finalement.
    Je n'ai jamais vu de placement en nourrices dans les registres que j'ai examinés jusqu'à maintenant.
    Peut-etre Arçay était connu pour avoir les meilleures nourrices du Poitou? :-)
    J'ai déjà croisé des actes de décès d'enfants décédés dans la commune, on ne sait comment, mais sans que soit explicité la raison.
    L'enfant demeurait encombrant à l'époque, le temps qu'il ne puisse travailler : une bouche à nourrir sans contrepartie.
    Pour la bourgeoisie, j'aurai pu croire qu'il en était autrement.
    Mais comme tu le dis, la condition sociale avant tout ; et surtout, si la mode de la nourrice s'installe, alors c'était un passage obligé.

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  4. Troublantes histoires .
    Merci Gloria.
    Bise.
    Tonton

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