En 2003, assise à Genouillé, une sorcière singulière remonta
quatre à quatre la branche des Godard, histoire d’épater son beau-père, fumeur
de Havane de 80 printemps. Cigare aux lèvres, celui-ci se mit à parler.
L’écouter, c’était grimper de branche en branche, dans l’arbre du temps, au
plus loin de la mémoire orale familiale. Et quelle mémoire! Deux guerres,
des épidémies, les derniers loups du Sud Vienne, des cœurs simples, mais fiers,
des bonheurs de vie humble, autour d’un feu, des mots à la veillée… Rien de
mieux qu’un homme d’ici pour piquer de passion généalogique une bru venue
d’ailleurs.
Source :
Archives départementales de la Vienne
Les Godard de Genouillé, au plus loin des archives
paroissiales, étaient journaliers à la Combe. Journaliers… De père en fils, sur
plusieurs siècles. Une généalogie humble et belle de gens de peu, qui se
marièrent au village, ou à une portée de charrette, revenant inexorablement au
berceau de la Combe, au village des potiers. Pas une petite cuiller en argent à mettre sous
la dent du beau-père, pas un blason, pas une particule ! Chez les Godard
de Genouillé on vécut pauvre et en sabots. Dans un tel arbre, le premier qui
signe apporte à l’apprenti paléographe, une sacrée émotion. Il fallut attendre
1860, et le mariage de Jacques avec
Marie Pautrot, pour lire Godard en bas d’un acte ! La première main qui sut écrire fut celle de
François, frère cadet du marié. « François Godard hongreur » et fier
de l’être, tel est son paraphe au bas
des actes de sa fratrie. Joseph, fils de
Jacques, signe. Joseph-Pierre né en 1889, cultivateur, sait lire et écrire.
Mobilisé le 1er Aout 1914, prisonnier la terrible journée du 22
Aout, c’est en Allemagne, qu’il apprendra la naissance de Louis, son premier
fils né en novembre. Libéré en 1919, il termine la route à pied, se perd dans
cette campagne qu’il ne reconnait plus et arrive à Genouillé épuisé. La famille s’installe alors à St-Macoux où
nait René, notre fumeur de Havane.

2014 Collection familiale.
Naitre, grandir et saisir sa chance. Enfant de la république
doué, à l’intelligence vive, voyez René, grimper quatre à quatre les barreaux
de l’échelle sociale ! Notre fumeur de Havanes, quitte le sud Vienne,
devient clerc de notaire à Chauvigny chez Me Toulat, puis notaire à Paris. Naitre, grandir, devenir un homme et garder
tout au long de sa vie l’amour de la langue française et le respect pour les
plus humbles dont on est issu. Devenir père et porter haut ses enfants.
Devenir grand-père, arrière-grand-père
et se laisser porter par la diversité d’une ribambelle joyeuse et aimante.
Naitre, grandir et finir patriarche. Présider la table des
cousinades et conserver intacte la mémoire des anciens, l’émotion des chagrins, garder au cœur les disparus,
s’émouvoir des naissances, porter un regard attentif sur chacun et accompagner
les plus fragiles.
De journalier en notaire, de Genouillé à Monthoiron, le 6
mars 2015, en perdant une de ses plus belles branches, l’arbre de la Godardière
a gagné une racine d’une singulière force.
René Henri GODARD (1923/2015)
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Je suis la gardienne des actes notariés familiaux anciens. Un an plus tard, j'ouvre une chemise cartonnée et l'odeur du Havane m'entoure, j'inspire, je retiens mon souffle, je ferme les yeux.
Papi Cigare is back.
Tabagisme passif consenti.