Source AD 86 - Pour bien visualiser l'image, cliquez droit et ouvrir dans une nouvelle fenêtre.
1631, c’était un temps où les ruelles pictaves regorgeaient
d’immondices. C’était un temps où les latrines manquaient, où les seaux
d’aisance se vidaient le matin aux fenêtres. C’était un temps où les ordures
ménagères n’étaient l’affaire de personne.
1631, c’était le printemps des odeurs, dans Poitiers la
Grande, se côtoyaient hommes et bêtes,
épluchures et déjections. Les glycines
et les lilas peinait à masquer le pullulement d’une vie microbienne grouillante
sous les déchets, progressant dans un univers souterrain dont les rats étaient maitres,
s’insinuant de maison en maison, polluant les couches de paille, déversant leur
flot de puces, laissant une armée bactériologique invisible et invincible faire
son œuvre, sournoise, déterminée, menant
inexorablement à la contamination des hommes.
1631, les ordures ménagères deviennent le problème de tous, la peste est là. Les décharges s’organisent,
les charretiers, ancêtres de nos
éboueurs, collectent, éloignent, pauvres Sisyphe d’une terre déjà irresponsable dans une atmosphère
irrespirable. Depuis le XVè siècle la peste était endémique et Poitiers avait
maintes fois lutté. De l’autre côté du Clain, la cité avait son hôpital des
champs dédié à la contagion, ses « sanitat » permettant d’isoler les malades.
Estienne Thevenet, tentait les remèdes, venin de vipère, bave de crapaud,
incision des bubons. A Buxerolles, au Logis de la Barre, les rescapés
espéraient guérir.
1631, la peste fleurit au printemps sur le terreau de la
saleté, de la misère et de la crise économique. Qu’on se le dise, le prix de la
contagion suivit dans tout le royaume celui du vin et du froment, il poussa le
nanti à fuir avec ses biens vers une autarcie villageoise salutaire, vite et
loin, le plus vite possible, loin de la ville putride où l’on enfermait les
contaminés. L’exilé emportait dans sa fuite essoufflée, ce bacille que nul ne
connaissait encore.
1631, les registres paroissiaux racontent l’exil d’une
épidémie… Parmi les 32 mentions de peste retrouvées, 20 occupent les années 1630
et 1631. La peste est au village ! A Cissé, le curé la nomme « l’année de la grande mortalité ». A Craon on enterre les morts dans les
jardins, à Posay-le Joly, à Arcay, à
Amberre, à Nouaillé-Maupertuis, on mentionne la contagion. A Thurageau, elle impose
son cimetière, à Montamisé, l’un après
l’autre, les Joubert s’enterrent dans leur jardin. Le 7 juin, ce sont les « corbeaux » de l’hôpital
de Poitiers qui recouvrent le dernier.
1631, dans ce village du Poitou, la contagion est à son
comble au printemps, un an après le premier cas signalé dans le registre, elle
a tué 117 personnes, multipliant la mortalité par dix. A Poitiers, la ville
décimée compte 10 000 morts, la moitié de sa population.
2014, dans un monde où
les bactéries résistent, où la gale
revient, où la crise économique gronde, le printemps pictave des glycines et
des lilas peine à couvrir les effluves d’alarme des sacs poubelle. Les ordures
ménagères seront-elles enfin, l’affaire de tous ?