mardi 16 avril 2013

N comme Nationalité Française. #challengeAZ




Je suis née le 31 décembre 1956.Française.
J'ai grandi française, jusqu'en 1993 environ.
Cette année-là,je suis allée renvouveler ma carte d'identité à la sous-préfecture de Châtellerault. Une procédure banale, que j'effectuais pour la troisième fois de ma vie.
J'ai rempli le formulaire et j'ai inscrit mon lieu de naissance : Paris.
J'ai rempli le formulaire et j'ai inscrit la nationalité de ma mère : Française.
J'ai rempli le formulaire et j'ai inscrit le lieu de naissance de ma mère : Paris.
J'ai rempli le formulaire et j'ai inscrit la nationalité de mon père : Français.
J'ai rempli le formulaire et j'ai inscrit le lieu de naissance de mon père : Barcelone.

Barcelone ! C'est là que tout a basculé. Il n'était plus possible de me faire mes papiers, moi qui avait été française avec un père espagnol pendant 12 ans de ma vie, je n'étais plus française avec un père français, jusqu'à ce que je sois capable de prouver le contraire. Prouver quoi hein ? Quoi ? Il me fallait fournir pour la première fois, la preuve de la naturalisation de mon père. Un papier que je n'avais pas.

La colère est montée, immédiate, noire comme le plus noir de l'histoire de la France. La révolte. L'ahurissement. Ce pays qui ne voulait plus de moi, qui une fois de plus prenait des mesures administratives discriminantes, brutales, qui me renvoyait à l'exil, à la guerre, à la peur.
Une colère noire portée par tous ceux avant moi qui avaient été français en posant le pied ici. Qui ont aimé ce pays, se sont battus pour lui, ont parlé sa langué, adopté sa culture, ses artistes, et regardé avec lui devant en laissant le passé loin dans l'oubli.

"Et vous voulez m'envoyer où ??"

Pour la première fois, je me suis sentie apatride. Pire déracinée. Ni française, ni espagnole, ni turque. Rien. Pire séparée. Je me suis vue séparée de mes enfants...Oui un truc de dingue, irrationnel, quelques secondes de folie.

J'ai appelé ma mère. Elle a rigolé, elle m'a à peine crue. Elle a pensé à une fantaisie régionale. "A la campagne, tu sais..." Oui parce que ma mère, elle est parisienne, alors Châtellerault c'est quand même le trou du c.. du monde.
Elle m'a envoyé les papiers nécessaires et j'ai fini par récupérer une carte d'identité. Un trésor.

Deux ans après, elle a tenté de refaire la sienne. Et v'lan, à Paris aussi ! Nationalité de ses parents : Français. Lieu de naissance de ses parents : Constantinople, un nom de ville disparu.
La colère est monté, immédiate, pour elle, encore plus. la révolte pour elle encore plus. Son pays, qui par ses mesures administratives discriminantes brutales, la renvoyait à l'exil, à la guerre, à la peur.
Une colère noire portée par tous ceux, qui avec elle, avaient été français en posant le pied ici. Ses parents qui ont aimé ce pays, son frère qui s'est battu pour lui...
"Et vous voulez la renvoyer où ma mère ?"
Heureusement, elle connaissait la chanson. Elle n'a pas eu peur. ça allait s'arranger. Même si pour elle, ce fut bien plus difficile de fournir les papiers !

En 2009, j'ai acheté le livre d'Assayas, Faute d'Identité. La même histoire, en 2009, pour un passeport. Mais pire que la colère, lui décrit la honte. Il a eu honte. Je me suis dit que j'avais eu de la chance, ni moi, ni ma mère n'avions eu honte de nous. Assayas retrouve ses racines, elles le mènent à Constantinople, nos ancêtres vivaient sans doute dans le même quartier. Pour la première fois de sa vie, il se découvre juif.
En 2009, Assayas n'arrive pas à avoir son passeport.
En 2013, je n'ai toujours pas demandé le mien. Je voyage si peu.
En 2013, petite fille de réfugié politique, il parait que l'Espagne repentante, m'offre sa nationalité en quelques jours.
Vous savez quoi ? On sait jamais, ça peut servir.

7 commentaires:

  1. La colère, cette colère. Je l'ai ressentie lorsque j'avais dans les 18 ans, que j'ai emmené ma Grand-Mère faire refaire sa carte d'identité. Je dis bien REFAIRE. Avec la carte presque périmée dans la poche.
    Elle avait 75 ans ou un peu plus. Elle était française, née de parents français. Pas un ancêtre étranger, j'en sais quelque chose. Mais elle était née en Algérie. L'Algérie, à l'époque était un DÉPARTEMENT Français. Même pas un territoire. Mais non. Il a fallu prouver (vous avez le livret de famille de vos parents ? Sans blague).
    J'ai vu ma Grand-Mère pâlir, elle avait les larmes aux yeux. Et j'ai pété un plomb. La fille de l'Etat Civil a fini par accepter la carte d'identité même pas périmée comme "preuve". "Exceptionellement".
    Tiens je suis de nouveau en colère, c'est malin :)
    Mistike

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  2. Du vécu également de mon côté avec ma mère qui a eu le mauvais goût de naître en Catalogne et de se réfugier en France en 1939. Elle s'est mariée avec mon père (français fils de français lui-même fils de français, etc....) en 1953. A l'époque, le mariage accordait automatiquement à une femme étrangère la nationalité française. A partir de 1973, cela n'existait plus. En 1975, j'ai failli ne pas pouvoir me présente à un concours de la Fonction publique parce que l'on m'a demandé de prouver la nationalité française de ma mère. Comment dire ? de la colère ? non, plutôt, dans un premier temps, comme un genre d'hébétitude suivie du sentiment d'être mise à la porte de chez moi. La colère est venue ensuite. Depuis, j'ai développé une vigilance extrême sur la question de la nationalité. C'est comme un traumatisme.

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  3. Ca fait mal au ventre de vous lire, ça fait peur aussi :-(

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  4. Saines colères, mais tellement de peurs aussi... L'absurdité des textes, et l'absurdité de leur application. Rageant.

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  5. Merci pour ces témoignages, merci pour ces partages. C'est une sale expérience, et bien plus grave lorsqu'il s'agit d'une personne âgée, avec un passé douloureux qui revient comme une gifle.
    Lisez le livre d'Assayas, c'est un beau livre de mémoire.



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  6. Pendant plusieurs années (autour de 2000), j'ai été directeur d'une école en ZUP, ZUS, ... Chaque année, j'ai dû fournir beaucoup de "certificats de vacances" pour des enfants français qui n'avaient que le tort d'avoir des parents nés à l'étranger et qui souhaitaient voir ou revoir le pays de leurs ancêtres. Pour ceux qui étaient venus définitivement en France après leurs naissances, j'ai dû leur fournir des certificats de scolarité pour qu'ils puissent prouver qu'ils avaient bien presque toujours vécu en France. Mais le pire, c'était lorsque les parents eux-mêmes venaient me voir parce qu'ils croyaient que je pouvais les aider à obtenir des papiers français... J'étais complètement démuni dans le pays des droits de l'homme! Leurs enfants français ne leur permettaient pas toujours d'accéder aux droits auxquels ils pouvaient prétendre.
    Et puis, un jour, on m'a demandé si j'étais bien français parce que mon faciès prétendait le contraire: je suis très brun à la peau mate et tous mes ancêtres sont français sur au moins dix générations! Mais voilà, mon type méditerranéen créait le doute. J'ai compris qu'on pouvait alors avoir honte non pas de ses origines mais de vivre dans un pays qui se veut exemplaire mais qui doute de ses propres ressortissants. J'ai compris qu'on pouvait avoir honte de vivre dans un pays qui se veut "Terre d'accueil" mais qui considère ses ressortissants d'abord comme des "présumés coupables" de ne pas être complètement français. J'ai compris que dans ce pays qui a vécu la "Révolution française" personne n'est sans doute réellement français. Depuis je me considère comme un citoyen du monde. Au moins, je suis certain qu'on ne pourra me contester le droit d'y être né, d'y vivre, d'y rêver à des jours toujours meilleurs... Mais jusqu'à quand?

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    1. Merci Erbé pour ce témoignage, encore aujourd'hui du rôle de l'instituteur dans l'intégration des enfants nés ici ou ailleurs. Nos arbres généalogiques sont parsemés de ces personnages inoubliables qui ont plaidé pour que l'école ne s'arrête pas, pour les moqueries de la cour de récré cessent. Ils nous ont fait la courte-échelle pour grimper les barreaux de la réussite. Ils ont reconnu les talents, ils ont protégé les enfants. Et comme vous en témoignez, ils continuent.
      Citoyen du monde, moi aussi je l'ai revendiqué, mais face au guichet ce fut une autre histoire !

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